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22 novembre 2005

Glucksmann et les violences-zurbaines

L'intelligentsia française, suivant en cela l'exemple du Président, s'était montrée remarquablement discrète lors de l'embrasement des banlieues, alors qu'on la connaît autrement présente sur des sujets plus lointains. Après la pluie, le beau temps : voici qu'André Glucksmann nous fait part de son point de vue sur cette délicate question, dans le Monde évidemment.

Les feux de la haine ... Le titre n'est pas mal choisi, même si la référence me semble plutôt faite pour les lecteurs de "Nous Deux" que pour ceux du Monde. Passons sur le début (en fait, la première moitié) de cette tribune que l'on peut me semble-t-il oublier assez rapidement. Un bref rappel des faits, un pont un peu rapide vers le nihilisme ... Tout ça n'est pas loin du Marabout Flash "J'apprends à rapprocher les faits de théories philosophiques".

La partie du milieu a l'avantage de renvoyer la balle au centre : même si ce n'était ni très subtil, ni très habile, Sarkozy n'a pas eu entièrement tort de qualifier les boutefeux de racaille. Dont acte.

J'en vois qui dorment au fond, j'en viens donc à la fin de l'article. Je cite :
"La France, de droite comme de gauche, gagnerait à se contempler dans le miroir que lui tendent les boutefeux. Qui prétend gouverner l'Europe en toute minorité, quitte à déclarer aux pays qui s'émancipent de leur maître russe qu'ils n'ont qu'un droit, c'est celui de se taire ? Qui vote à 55 % contre l'Europe et mêle son bulletin avec ceux des extrêmes et des racistes ? Qui prend le risque de démolir cinquante années d'efforts ? Qui se dit prêt à faire capoter l'OMC et se moque, au nom de nos 2% de paysans, de l'immense misère africaine ? La diplomatie française se comporte dans les rapports internationaux comme s'il s'agissait de purs rapports de nuisance. Hier elle est au mieux avec Saddam, aujourd'hui avec Poutine. Elle traite à l'occasion de "résistants" les égorgeurs de Bagdad".
De prime abord, n'écoutant que mon courage, j'ai un peu tendance à sourire et à trouver le procédé un peu grossier. Même en tant qu'ouiste, j'ai une sérieuse propension à ne pas voir le lien immédiat entre le non à la Constitution et les flambées de violence. Idem pour les autres comparaisons: on passera, par charité chrétienne, sur l'obligatoire référence au tyran Poutine en Tchétchénie - ne tirons pas sur l'ambulance Glucksmann; mais on a peine à croire que la politique discutable de la France à l'OMC favorise l'embrasement. Bon, OK, je caricature, il n'a pas dit ça. Mais sans un minimum de mauvaise foi, tout ça ne serait pas bien drôle.

Ceci dit, passé les premiers sourires (l'amalgame, tout ça tout ça, vous vous souvenez ?), j'y ai réfléchi cinq minutes, et je commence à trouver son raisonnement carrément dangereux, alors que je le trouvais juste assez faiblard sur les bords. Donc, en gros, que nous dit-il, notre philosophe ? Qu'avec une classe politique donnant des exemples nombreux d'amoralisme (on ne saurait qu'aquiescer au moins sur certains exemples), on encourage -il ne dit pas qu'on légitime, mais c'est tout comme- les violences-zurbaines. J'y vois une tentation quasi digne de Saint-Just, une exigence de pureté, une volonté d'absolu moral qu'il prétend peut-être incarner.

En (très) gros, quand les responsables politiques n'agissent pas suivant les canons de la morale (voire même suivant l'Evangile selon Saint-André), ils donnent du grain à moudre aux émeutiers ?

Bref, pour finir, Glucksmann me semble tomber dans les travers qu'il dénonce deux paragraphes plus haut: tout d'abord, il dit que ceux qui accusent Sarkozy de populisme et de pyromanie sont des faux-dèrches qui ne veulent pas voir le problème là où il se trouve. Ensuite, il tombe dans une hypocrisie encore pire qu'un socialiste tendance Hollandiste-Fabiusienne-NPS-Emmanuellistes-Royaliste (c'est tout dire): "c'est la faute aux politiciens, ces gros méchants pas éthiques: après on s'étonne qu'on flambe des bagnoles".

Bref, ce n'est pas encore cette fois-ci que Glucksmann m'a convaincu. Je le trouve populiste, démagogique, et je trouve son raisonnement incendiaire: c'est sans doute aussi en légitimant la violence que l'on donne du grain à moudre à l'extrême-droite.