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06 septembre 2005

Chef, oui, chef ! [VO: Sir, yes, Sir !]

Le Chief Justice (titre plaisant) disparaît, et Libé considère que la Cour Suprême [en] est décapitée. Péché véniel que Maître Eolas s'empresse de crucifier avec un enthousiasme communicatif.

En indiquant hier sa volonté de faire de John Roberts, qui n'est pas encore Associate Justice, le prochain Chief Justice, George Bush surprend son monde. Ma question subsidiaire: dans une démocratie, est-il sain que le Président puisse nommer à vie des juges aux pouvoirs aussi grands ?

Feu William Rehnquist avait été nommé à la Cour en 1972. Faisons le compte. 33 ans se sont écoulés depuis lors: 21 sous présidence républicaine (Nixon, Ford, Reagan, Bush Sr. et Bush Jr.) et 12 sous présidence démocrate (Carter et Clinton). Jusque là, il semble donc assez normal que le président de la Cour Suprême soit de sensibilité républicaine (encore que l'on peut assez facilement semble-t-il qualifier Rehnquist d'ultra-conservateur, ce qui n'est pas le cas de tous les Républicains. Admettons). Il n'en reste pas moins que sur ces 33 ans, 36% ont été passés sous présidence démocrate, ce qui n'est pas négligeable.

Par contre, si l'on considère que Rehnquist a été nommé Chief Justice en 1986, le bilan est plus contrasté: depuis 1986, 19 ans, dont 11 sous présidence républicaine et 8 sous présidence démocrate (58% / 42%).

Doit-on en conclure que la nomination à vie des juges de la Cour Suprême n'est ni démocratique, ni anti-démocratique, puisqu'elle laisse surtout une large place au hasard, puisque c'est la grande faucheuse qui décide du remplacement des juges, et qu'elle ne saurait être ni Républicaine, ni Démocrate ? Voire ...

Voire, car je suis tombé hier sur l'article de Wikipédia US consacré à la juge Sandra Day O'Connor, laquelle a indiqué en juillet son intention de quitter la Cour. Et ce paragraphe-ci m'interpelle :

(citation) "On December 12, 2000, the Wall Street Journal reported O'Connor was reluctant to retire with a Democrat in office: "At an Election Night party at the Washington, D.C., home of Mary Ann Stoessel, widow of former Ambassador Walter Stoessel, the justice's husband, John O'Connor, mentioned to others her desire to step down, according to three witnesses. But Mr. O'Connor said his wife would be reluctant to retire if a Democrat were in the White House and would choose her replacement. Justice O'Connor declined to comment"." (fin de citation)

Premier élément, qui est humain, mais qui n'en est pas moins préoccupant.

De plus, au début 2005 la Cour Suprême n'avait plus enregistré aucune modification de sa composition depuis 11 ans (1994). Il ne reste plus qu'à faire le compte:

- William Rehnquist: 1972 - Richard Nixon (Rep)
- Ruth Bader Ginsburg: 1993 - Bill Clinton (Dem)
- David Souter: 1990 - George H. Bush (Rep)
- Clarence Thomas: 1991 - George H. Bush (Rep)
- Stephen Breyer: 1994 - Bill Clinton (Dem)
- Anthony Kennedy: 1988 - Ronald Reagan (Rep)
- Sandra Day O'Connor: 1981 - Ronald Reagan (Rep)
- John Paul Stevens: 1975 - Gerald Ford (Rep)
- Antonin Scalia: 1986 - Ronald Reagan (Rep)

Autrement dit, sur 9 juges, 7 dont le Président ont été nommés par des Présidents républicains (77%). "Heureusement", si l'on ose dire, les deux juges qui ont quitté la Cour cette année étaient étiquetés républicains. Dans le pire des cas, l'on aurait pu se retrouver avec une Cour Suprême composée uniquement de juges nommés par des Présidents républicains, ce qui me semble poser un léger problème d'équité dans un pays doté d'un système largement bipartisan où, bon an mal an, chacun des deux partis représente 50% des voix.

Pas la peine de tomber dans la théorie du grand complot pour considérer le système d'élection à vie comme imparfait (euphémisme), et ce même en-dehors des questions de principe sur la capacité d'un juge atteint comme Rehnquist d'un cancer de la thyroïde en phase terminale à assurer sa charge (no offense meant). Ce système pourrait tout à fait avoir favorisé dans les mêmes proportions les juges démocrates, mais le fait est là: il ne reflète ni la sensibilité passée du pays, ni sa tendance politique actuelle.

Il ne reste plus donc, à système inchangé, qu'à croire à l'utopie suivante: les Présidents nomment des juristes hors pair sans se préoccuper de leurs sensibilités politiques. L'histoire de la Cour Suprême a constamment démontré le contraire.